Nouvelles méthodes de désamiantage particulièrement efficaces : Le point sur la situation

Méthodes de désamiantage à très faible libération de poussière : Le point sur la situation

De nouvelles méthodes de désamiantage font leur entrée sur le marché. Elles promettent des taux d’empoussièrement particulièrement bas. Les premiers à en profiter seraient les travailleurs. Ces méthodes sont actuellement en développement et devraient, dans l’idéal, rapidement devenir l’état de la technique. Cependant, ce n’est pas encore le cas. Quand ces procédés seront au point, il devrait être possible, dans certains cas et sous conditions, de renoncer à un confinement. Ceci permettrait une réduction significative des coûts de désamiantage. 

Quand on parle d’amiante, on pense le plus souvent aux matériaux en amiante-ciment ou à l’amiante floqué. Il y a cependant de nombreux autres produits qui peuvent contenir de l’amiante. Depuis quelques années, on parle de plus en plus souvent de la présence d’amiante dans les crépis. On sait aujourd’hui qu’environ 15 % des crépis des bâtiments contiennent de l’amiante. Il peut s’agir autant des crépis intérieurs que des crépis extérieurs.

Lors d’une utilisation normale des bâtiments, ces crépis ne constituent aucun danger. En effet, les fibres d’amiante sont prises dans la matrice du matériau. Par contre, lors de la démolition ou de la rénovation de bâtiments, en particulier lors du ponçage, il peut y avoir une libération importante de fibres d’amiante (plus d’un million de fibres d’amiante respirables FAR/m3). Ainsi, actuellement, avant tout travaux, les crépis amiantés doivent être assainis sous confinement par une entreprise spécialisée dans le désamiantage. 

Puisqu’il s’agit souvent de très grandes surfaces, le coût de ces désamiantages peut vite être important. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’analyse systématique de ces coûts, mais les spécialistes parlent de plusieurs milliards de francs pour toute la Suisse. 

Se pose alors la question de savoir s’il existe des méthodes efficaces qui permettent de réduire les coûts. Serait-il possible, par exemple, de travailler avec une aspiration à la source si forte que les fibres d’amiante ne puissent se propager ? Si oui, et à certaines conditions, pourrait-on même songer à renoncer à un confinement ?

Plusieurs entreprises ont investi des sommes importantes dans la recherche et le développement de procédés de désamiantage à très faible libération de fibres d’amiante. La Suva a effectué une série de mesures de l’air lors de chantiers tests. Celles-ci montrent qu’il est possible de réduire l’empoussièrement de manière significative. Outre la composante financière, ceci est également une excellente chose pour la protection des travailleurs. En effet, la directive CFST 6503 exige que des mesures techniques soient prises pour réduire autant que possible la libération et la propagation de fibres d’amiante. De ce point de vue, travailler selon ces nouvelles méthodes pourrait devenir  l’état de la technique et par conséquent obligatoire. 

Pour déterminer s’il est possible de travailler sans confinement, la Suva a effectué des mesures d’air lors de l’utilisation des trois méthodes suivantes:

  •     Décapage chimique des crépis
  •     Décapage du crépi avec de l’eau à très haute pression
  •     Fraisage avec très forte aspiration à la source

Décapage chimique de crépis

Le crépi est d’abord traité avec un produit agressif (décapant, solvant). Après un certain temps de contact, lors duquel le produit agit sur le crépi, il est – dans le cas idéal – possible d’enlever le crépi avec une simple spatule. Il est, ensuite, nécessaire de nettoyer la surface pour enlever tous les résidus. 

La Suva a effectué plusieurs mesures d’air lors de la mise en œuvre de cette méthode. L’exposition mesurée sur l’homme est restée en dessous de la valeur moyenne limite d’exposition VME qui est de 10'000 FAR/m3 pour l’amiante. 

Les avantages principaux de cette méthode sont le coût particulièrement avantageux et la facilité à le mettre en place sans équipement lourd. Il a cependant également des inconvénients. Le danger dû à l’exposition à l’amiante est certes réduit, mais d’autres risques apparaissent, en particulier le risque de brûlures chimiques ou de lésions aux yeux. En outre, cette méthode ne fonctionne pas sur tous les types de crépi. De plus, il est nécessaire de traiter ces déchets spéciaux avant de les éliminer en décharge. 

Décapage du crépi avec de l’eau à très haute pression

Le décapage de crépi amianté avec de l’eau à très haute pression se pratique en France déjà depuis plusieurs années. La méthode a été optimisée au point que la libération de fibres d’amiante reste en dessous de 1000 FAR/m3.

Les éléments critiques de cette méthode sont l’aspiration à la source et le filtrage de l’air et de l’eau. En effet, toutes les boues, y compris l’amiante et d’éventuels aérosols, doivent immédiatement être aspirées. L’air et l’eau doivent ensuite être filtrés. 

Pour cette technique, la Suva a fait deux mesures d’air sur des chantiers tests. Sur le premier chantier, moins de 10'000 FAR/m3 ont été mesurées. Lors du deuxième, une méthode  mixte (eau avec ponçage) a été utilisée. Ici, la quantité de fibres d’amiante mesurée dans l’air était de 60'000 FAR/m3

L’avantage du travail avec de l’eau à très haute pression est le rendement élevé. En France, cette méthode  est également utilisée pour le nettoyage après un déflocage. Alors que le flocage amianté est normalement un produit hautement dangereux, les déchets issus du déflocage ou d’un désamiantage de crépi avec cette méthode ne sont pas considérés comme plus dangereux que les déchets de fibrociment amianté. Selon des discussions préalables avec l’OFEV, les déchets issus de ce procédé pourraient même potentiellement être éliminés dans une décharge de type B (au lieu de E). 

Le désamiantage avec de l’eau à très haute pression a malgré tout un inconvénient : il faut des machines lourdes et complexes. Leur réglage et leur manipulation nécessitent un savoir-faire et de l’expérience. Pour atteindre un rendement élevé sans libérer de fibres d’amiante, il est important de disposer de personnel bien formé et expérimenté. Est-ce que l’investissement financier dans ce type de matériel en vaut la peine pour une entreprise de désamiantage ? Dans beaucoup de cas, il pourrait être plus intéressant de collaborer avec une entreprise qui dispose déjà de ces appareils et du personnel formé. 

Fraisage avec très forte aspiration à la source

La majorité des mesures de la Suva a été faite lors de travaux de fraisage avec une aspiration à la source particulièrement puissante. En effet, ces dernières années, plusieurs entreprises ont mis sur le marché des aspirateurs pour l’amiante nettement plus puissants que les appareils communément utilisés actuellement sur les chantiers de désamiantage. Couplés avec un pré-séparateur, ces nouveaux aspirateurs permettent d’aspirer tous les déchets et de les ensacher hermétiquement directement en dehors de la zone. Ainsi, les étapes de mise en sac dans la zone puis leur décontamination dans le sas ne sont plus nécessaires. 

Avec cette méthode, la grande majorité des mesures de l’air restaient en dessous de la VME de 10'000 FAR/m3. Néanmoins, dans certains cas, des valeurs en dessus de 100'000 FAR/m3 ont été mesurées. Ceci était en particulier le cas lors de travaux dans des angles et sur des bords ou lors d’une mauvaise utilisation des fraiseuses. Pour cette méthode, il n’est dès lors pas encore possible de renoncer par défaut à un confinement. 

L’élément central de cette méthode est l’aspirateur. Il doit être exceptionnellement puissant et conçu pour le travail avec de l’amiante (norme EN 60335-2-69, avec spécification amiante). Les autres éléments de la méthode doivent aussi être optimisés pour le travail avec de l’amiante. Aujourd’hui, ce sont principalement des fraiseuses guidées manuellement qui sont utilisées, mais plusieurs entreprises travaillent sur le développement de robots-fraiseuses. L’utilisation de tels robots réduirait très fortement l’effort physique des désamianteurs tout comme le risque de mauvaises manipulations, comme un calage. 

Le rendement avec les fraiseuses dépend de la consistance du crépi et de la puissance de la fraiseuse. Selon le type de crépi et avec une fraiseuse manuelle, les entreprises de désamiantage admettent que le rendement est moins élevé que lors d’un piquage conventionnel. L’aspiration des déchets et leur ensachement direct en dehors de la zone permettent cependant  de compenser partiellement  cette baisse de rendement. 

Coûts

Les coûts des différentes méthodes n’ont pas été analysés et comparés dans le cadre des mesures effectuées par la Suva. Il ressort néanmoins des discussions avec les différents intervenant les faits suivants :

  • Rendement : De façon général, la vitesse de travail (m² par heure) n’est aujourd’hui pas plus élevée qu’un désamiantage par piquage/ponçage conventionnel. On peut cependant admettre que le rendement augmentera avec la mise au point de ces méthodes et avec des appareils plus puissants. 
  • Investissement : Sauf pour le décapage chimique, des investissements importants dans de nouveaux équipements sont nécessaires. 
  • Économies : Une réduction des coûts est possible si on peut :
    • Renoncer à un confinement 
    • Aspirer les déchets à la source : Lors du travail avec de l’eau à très haute pression et du fraisage avec très forte aspiration à la source, les déchets sont aspirés et ensachés majoritairement automatiquement. 

Pour des chantiers de désamiantage de crépi sur de très grandes surfaces en plein air, les entreprises impliquées ont estimé une économie de plus de 50 % s’il est possible de renoncer à un confinement.

Evaluation des méthodes

Les mesures effectuées par la Suva montrent que ces méthodes permettent une très forte réduction de la quantité de fibres d’amiante libérées. Cependant, ces méthodes ne sont pas encore considérées comme suffisamment sûres et au point. Il n’est ainsi pas possible actuellement de dévier sans autre des exigences de la directive CFST 6503 en renonçant notamment à un confinement. Il y a plusieurs raisons pour cela :

  • Maturité des méthodes: Les méthodes peuvent être considérées comme robustes, si ellesgarantissent continuellement un niveau d’empoussièrement bas, et non pas seulement pendant la mesure. La robustesse d’une méthode  se démontre aussi lors de travaux difficiles, notamment sur des bords, dans des recoins ou sur des surfaces non planes. 
  • Défauts d’utilisation : Les valeurs d’exposition élevées étaient souvent dues à une mauvaise manipulation des machines. Une méthode peut être considérée comme fiable si elle est conçue de façon à ce que des défauts d’utilisation soient quasiment impossibles. 
  • Appareils non conformes : Chaque élément de la méthode doit être conçu pour le travail avec de l’amiante. Les différents composants du procédé doivent par ailleurs être optimisés pour fonctionner de manière fiable dans son ensemble. 

Sur la base des expériences faites à ce jour, il n’est pas encore possible, et la Suva ne le permet pas encore, d’utiliser ces nouvelles méthodes de désamiantage sans confinement . On peut cependant déjà aujourd’hui envisager un travail sans confinement si certaines exigences sont remplies. . 

Conditions pour une utilisation de ces nouvelles méthodes par une entreprise de désamiantage reconnue par la Suva
Par principe, le travail avec ces nouvelles méthodes est aujourd’hui réservé exclusivement aux entreprises de désamiantage. Chaque chantier est soumis à l’obligation d’annonce à la Suva. 

Si une entreprise veut utiliser un procédé à très faible niveau d’empoussièrement et dévier des exigences de la directive CFST 6503 ou des fiches/feuillets de la Suva, elle doit obtenir l’accord de la Suva et apporter la preuve du bon déroulement pour chaque annonce de chantier de désamiantage. Concrètement, les points suivants doivent être remplis : 

  • Plan de travail / concept de désamiantage : Le plan de retrait / concept de désamiantage doit décrire en détail le processus de désamiantage, les appareils utilisés ainsi que les mesures de protection mises en œuvre. Si le fabriquant / développeur d’un procédé ne dispose pas encore d’une documentation appropriée, chaque étape de la méthode et chaque appareil doivent être décrits de façon détaillée. 
  • Prise de contact avec la Suva : S’agissant de procédés innovants qui dévient des exigences usuelles, la Suva doit être contactée suffisamment à l’avance pour pouvoir analyser la méthode.
  • Instruction du personnel : Le personnel doit être familier avec chaque élément du procédé et doit savoir utiliser les appareils. Une courte instruction, par exemple sur la manière de se servir d’une fraiseuse, n’est pas suffisante. L’instruction doit être répétée périodiquement pour assurer la bonne utilisation des machines. 
  • Sécurité des produits : De façon générale, chaque appareil du procédé doit être conçu pour son utilisation particulière et doit être sûr (loi fédérale sur la sécurité des produits, LSPro). En l’occurence, les appareils doivent être conçus pour un travail avec de l’amiante (EN 60335-2-69, avec spécification amiante) ainsi que d’éventuelles autres normes selon les fonctions requises. 
  • Désamiantage pilote sur une petite surface : Si les méthodes utilisées sont encore en développement et ne disposent pas encore de toutes les preuves de sécurité, il faut se tenir autant que possible aux normes existantes. Si une entreprise souhaite faire les travaux sans confinement, le risque d’exposition à l’amiante doit être évalué lors d’une phase pilote préalable au début du désamiantage. Ceci signifie qu’en début de chaque chantier, la méthode doit d’abord être testée et validée sous confinement, par exemple sur une surface réduite de 10 m², en vue d’obtenir éventuellement l’autorisation pour le reste du chantier. Lors de cette phase préalable, la concentration de fibres d’amiante doit être mesurée (généralement au moins une mesure sur homme, et plusieurs mesures stationnaires) . Pour évaluer la situation des travailleurs, on se réfère à la VME (10'000 FAR/m3). 
  • Évaluation systématique des autres dangers : L’évaluation des dangers ne doit pas se limiter aux risques liés à l’amiante. Il faut également y intégrer les autres risques, tels que les brûlures chimiques, les blessures liées aux fraiseuses ou à l’eau à très haute pression, etc

Démarche pour faire approuver une méthode

Renoncer à la phase préalable de test des nouvelles méthodes de désamiantage ne sera possible que lorsque la preuve est fournie que la méthode en question est suffisamment mature pour qu’elle puisse être officiellement reconnue et documentée comme état de la technique et donc être publiée, par exemple, dans une fiche de la Suva. 

Ceci s’applique indépendamment si une entreprise de désamiantage utilise une méthode développée en interne ou si c’est un procédé développé par une entreprise qui la commercialise : Le développeur doit concevoir ses appareils ou son installation de façon à ce que toutes les normes applicables ainsi que les bases légales en vigueur soient respectées. Ceci doit être certifié par une déclaration de conformité CE

En pratique, ceci signifie que l’on doit effectuer une analyse de risque pour chaque élément d’une installation et pour chaque étape d’un procédé.

Quelques exemples de risques et comment ils peuvent être réduits : 

  • Pour le décapage chimique, il y a un risque de lésions des yeux et de la peau. Il est alors obligatoire de porter des lunettes et un habit de protection adéquat. 
  • Lors du fraisage, il y a un risque de libération d’amiante si l’aspiration à la source n’est pas garantie en permanence. Le flux d’air doit donc être contrôlé à la tête de la fraiseuse. Si ce flux est trop faible, l’appareil doit être conçu de sorte à ce qu’elle s’arrête automatiquement ou qu’une alarme se déclenche. 
  • Lors du fraisage ou quand on travaille avec de l’eau à très haute pression, le risque de libération de fibres est particulièrement important lors du travail dans les recoins et les bords . Il est donc nécessaire de définir et documenter explicitement comment ces travaux doivent être réalisés avec ces appareils. 

Protection du voisinage

A côté de la protection des travailleurs, il s’agit aussi d’assurer la protection du voisinage. Selon la directive CFST 6503, la protection de la population est considérée comme suffisante si le principe de minimisation est respecté, c’est-à-dire si l’exposition à l’amiante ne dépasse pas les 1'000 FAR/m3. Certains cantons ont des exigences plus strictes. 

La Suva n'est responsable que de la protection des travailleurs. La protection du voisinage est de la compétence des cantons ou – selon le canton – de la commune. Par analogie au feuillet de la Suva sur la déconstruction à la pelleteuse (Suva feuillet 88288), il doit être admis que ces autorités doivent également être consultées lors d’un désamiantage avec ces nouvelles méthodes si l’on souhaite renoncer à un confinement 

Conclusion

Les mesures d’air de la Suva montrent que ces nouvelles méthodes de désamiantage permettent de réduire l’exposition des travailleurs aux fibres d’amiante d’un facteur de 100 à 1'000. Du point de vue de la protection des travailleurs, c’est un résultat extrêmement positif. Le développement et l’utilisation de telles méthodes de désamiantage sont non seulement souhaitables, mais devraient être soutenus et recommandés dans l’optique de devenir l’état de la technique, et  in fine obligatoires.

Ces nouvelles méthodes sont cependant complexes et le risque d’erreurs d’utilisation est grand. Les entreprises de désamiantage qui les utilisent doivent être conscientes qu’il faut une planification très détaillée et une mise en œuvre particulièrement soigneuse.

Les mesures effectuées par la Suva concernaient surtout des travaux en plein air. Il est recommandé que ces nouvelles méthodes soient également utilisées et testées à l’intérieur. On doit cependant s’attendre à ce qu’il ne soit pas possible de renoncer totalement à un confinement ou à une ventilation active. De plus, les mesures libératoires avant la dépose du confinement restent obligatoires. De façon générale, toutes les déviations des exigences de la directive CFST 6503 et de la Suva doivent être documentées et évaluées au cas par cas. 

La grande question est de savoir s’il sera possible un jour de renoncer à un confinement, en tout cas pour les travaux en plein air. En France, qui connaît des exigences plus strictes en matière de désamiantage, certaines méthodes de désamiantage permettent déjà, sous certaines conditions, d’y renoncer. Vu les résultats encourageants des mesures de la Suva, il est tout à fait envisageable qu’un jour ce soit aussi le cas en Suisse. Pour y arriver, il faut que davantage d’entreprises de désamiantage s’engagent et soient prêtes à développer et à tester ces nouvelles méthodes. Il faut également que les développeurs continuent à investir dans l’optimisation de leurs machines.

Le présent article résume les résultats de mesures de la Suva présentés à la Polluconf 2019 à Bienne. L'article a été rédigé en collaboration et avec le soutien de la Suva et du Service des Déchets, de l'Eau, de l'Energie et de l'Air AWEL du Canton Zurich.

Simon Schneebeli, Dezember 2020.